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 Passages

  

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                                    Hokusai- La Grande Vague de Kanagawa, 1830

 

 

Le procès-verbal - J.M.G Le Clézio 1963

Adam demande si on ne pouvait pas lui apporter une tasse de café. Il prétexta qu'il avait soif, ou froid, mais en réalité, c'était pour changer légèrement l'aspect de la pièce. Il était fatigué d'être dans une infirmerie, avec des chaises d'infirmerie, une discussion d'infirmerie, une odeur d'infirmerie, et un grand vide d'infirmerie. En tout cas, le docteur appela l'infirmière et lui demanda d'apporter une tasse de café.

 

 

 

 

 

Le procès-verbal - J.M.G Le Clézio 1963

Il essaya de regarder la jeune femme dans les yeux, mais ce fut en vain : elle portait ce genre de lunette de soleil très noire, à verres et monture épais, particulier aux touristes new-yorkais sur la côte portugaise. Il n'osa pas lui demander de les ôter, et pourtant sentit quel soulagement ce serait de voir ses yeux. 

 

 

 

Le procès-verbal - J.M.G Le Clézio 1963

 

Alors, j'ai pensé qu'ils me flanqueraient dehors, peut-être à coups de pied. A moins qu'ils n'appellent les gendarmes. Et on m'amènera quelque part, de force, sûrement dans un endroit où je n'ai pas envie de rester.

  On me reprochera certainement des quantités de choses. D'avoir dormi là, par terre, pendant des jours; d'avoir sali la maison, dessiné des calmars sur les murs, d'avoir joué au billard. On m'accusera d'avoir coupé des roses dans le jardin, d'avoir bu de la bière en cassant le goulot des bouteilles conte l'appui de la fenêtre : il ne reste presque plus de peinture jaune sur le rebord en bois. 

Le procès-verbal - J.M.G Le Clézio 1963

Il envoya quelques boules de billard sous l'armoire, mais le rat blanc ne bougea pas. Alors il se traîna sur les genoux et fouilla dans l'ombre avec son bâton de bambou.

Le procès-verbal - J.M.G Le Clézio 1963

La ville était curieusement vide de chiens ; à part la chienne boxer qu'ils avaient croisée tout à l'heure sur la route de la plage, et que la vieille femme tenait en laisse, ils n'avaient rencontré que des hommes. Les rues portaient pourtant les stigmates d'une vie animale secrète, quelque chose comme l'odeur, les tâches d'urine séchée, les excréments, les touffes de poils laissés sur le bord du trottoir, à la suite d'un coït brusque et fatal, exécuté en pleine inondation de soleil, entre les pas des passants et les grondements des autocars.

 

 

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

...Oh ! si le temps pouvait remonter vers sa source ! et si le passé revenir ! Nathanaël, je voudrais t'emmener avec moi vers ces heures amoureuses de ma jeunesse, où la vie coulait en moi comme du miel.- D'avoir goûté tant de bonheur, l'âme sera-t-elle jamais consolée ? Car là j'étais, là-bas, dans ces jardins, moi, non un autre, j'écoutais ce chant du roseau; je respirais des fleurs; je regardais, je touchais cet enfant- et certes de chacun de ces jeux chaque nouveau printemps s'accompagne, -mais celui que j'étais, cet autre, ah ! comment le redeviendrais-je !

 

 

 

 

Séminaire VII L'Ethique 6 juillet 1960

La morale d’Aristote, c’est tout à fait clair - cela vaut la peine d’aller y voir de près - se fonde toute entière sur un ordre d’ailleurs arrangé, idéal, mais qui tout de même est celui qui répond à la politique de son temps, je veux dire au point où les choses étaient structurées dans la cité. Sa morale est une morale du maître, faite pour les vertus du maître, elle est essentiellement liée à un ordre des pouvoirs. L’ordre des pouvoirs n’est point à mépriser. Ce ne sont point ici à vous tenir propos d’anarchisme, simplement il faut en savoir la limite concernant le champ offert à notre investigation, à notre réflexion.

Concernant ce dont il s’agit, à savoir ce qui se rapporte au désir, à son arroi et à son désarroi, la position du pouvoir...quel qu’il soit, en toute circonstance, dans toute incidence historique, ou pas...a toujours été la même, c’est celle d’ALEXANDRE arrivant à Persépolis, ou d’Hitler arrivant à Paris. C’est la proclamation suivante - le préambule, peu importe - : « Je suis venu vous libérer.» de ceci ou de cela, peu importe. L’essentiel est ceci :

« Continuez à travailler, que le travail ne s’arrête pas ».

Ce qui veut dire :

« Qu’il soit bien entendu que ce ne soit pas là en aucun cas une occasion de manifester le moindre désir ».

 

La morale du pouvoir, du «service des biens», est comme telle :

« Pour les désirs, vous repasserez, qu’ils attendent ».

 

Cela vaut la peine qu’on trace la ligne de démarcation par rapport à laquelle les questions peuvent se poser dans un esprit qui marque un terme essentiel, qui a une fonction linéaire dans l’articulation de la philosophie, celui de KANT.

Il nous rend le plus grand service, simplement de poser cette borne topologique qui distingue le phénomène moral, je veux dire le champ qui intéresse le jugement moral comme tel, en le purifiant, c’est la κάθαρσις [catharsis].

Goyo Hashiguchi - Jeune femme se poudrant,1918
 

Séminaire VII L'Ethique    6 juillet 1960

Je propose que la seule chose dont on puisse être coupable, au moins dans la perspective analytique, c’est d’avoir cédé sur son désir.

Cette proposition, recevable ou non dans telle ou telle éthique, a tout de même cette importance d’exprimer assez bien ce que nous constatons dans notre expérience, c’est qu’au dernier terme, ce dont - de façon recevable ou non pour le directeur de conscience -le sujet se sent effectivement coupable, et quand il fait de la culpabilité, c’est toujours, à l’origine, à la racine, pour autant qu’il a cédé sur son désir.

 

Allons plus loin. Souvent il a cédé sur son désir pour le bon motif et même pour le meilleur. Ceci non plus n’est pas pour nous étonner. Depuis que la culpabilité existe, on a pu s’apercevoir déjà depuis longtemps que cette question du bon motif, de la bonne intention, pour constituer certaines zones de l’expérience historique, pour avoir été promue au premier plan des discussions de théologie morale, disons au temps d’Abélard, n’en ont pourtant pas laissé les gens plus avancés, c’est à savoir que la question, à l’horizon, se reproduit toujours la même, et c’est bien pour cela que les chrétiens de la plus commune observance ne sont jamais bien tranquilles.

 

Car s’il faut faire les choses « pour le bien », et c’est ce qui se passe en pratique, c’est bel et bien qu’on a toujours à se demander pour le bien de qui, et qu’à partir de là les choses ne vont pas toutes seules. Faire les choses au nom du bien, et plus encore au nom du bien de l’autre, voilà qui est bien loin de nous mettre à l’abri non seulement de la culpabilité, mais de toutes sortes de catastrophes intérieures, en particulier certainement pas à l’abri de la névrose et de ses conséquences.

 

Si l’analyse a un sens et si le désir est ce qui supporte le thème inconscient, l’articulation propre de ce qui nous fait nous enraciner dans une destinée particulière - laquelle exige avec insistance que sa dette soit payée - revient, retourne pour nous ramener dans un certain sillage, dans quelque chose qui est proprement notre affaire.

Séminaire VIII  Le Transfert  23 novembre 1960   Le Banquet : une sorte de compte-rendu psychanalytique

Si nous pouvons prendre le Banquet comme nous allons le prendre, disons comme une sorte de compte-rendu de séances psychanalytiques, car effectivement c’est de quelque chose comme cela qu’il s’agit, puisqu’à mesure que progressent, se succèdent, les contributions des différents participants à ce Συμπόσιον [symposion], quelque chose se passe qui est l’éclairement successif de chacun de ces flashes par celui qui suit, puis à la fin quelque chose qui nous est rapporté vraiment comme cette sorte de fait brut voire gênant, l’irruption de la vie là-dedans : la présence d’Alcibiade. Et c’est à nous de comprendre quel sens il y a justement dans ce discours d’Alcibiade. Alors donc, si c’est de cela qu’il s’agit, nous en aurions d’après Platon une sorte d’enregistrement. Comme il n’y avait pas de magnétophone, nous dirons que c’est un « enregistrement sur cervelle ».

Into Shinsui- Figures of beauties, 1898-1972

 

 

Séminaire VIII  Le Transfert  23 novembre 1960   Le Banquet: la place de l’amour, un fait de culture.

 

Au début d’une pièce d’Aristophane, à laquelle je faisais allusion aussi, quand on est dans le noir, on est vraiment dans le noir, c’est là qu’on ne reconnaît pas la personne qui vous touche la main. Pour prendre ce qui se passe encore au temps de Marguerite de Navarre, les histoires de L’Heptaméron sont remplies d’histoires de cette sorte.

Leur possibilité repose sur le fait qu’à cette époque là, quand on glisse dans le lit d’une dame la nuit, il est considéré comme une des choses les plus possibles qui soient, à condition de la fermer, de se faire prendre pour son mari ou pour son amant. Et cela se pratique, semble-t-il, couramment. Ceci change tout à fait la dimension des rapports entre les êtres humains. Et évidemment ce que j’appellerai dans un tout autre sens « la diffusion des lumières » change beaucoup de choses. Le fait que la nuit ne soit pas pour nous une réalité consistante, ne puisse pas couler d’une louche, faire une épaisseur de noir, nous ôte certaines choses, beaucoup de choses. Tout ceci pour revenir à notre sujet qui est celui auquel il nous faut bien venir, à savoir ce que signifie ce «cercle éclairé» dans lequel nous sommes, et ce dont il s’agit à propos de l’amour quand on en parle en Grèce. Quand on en parle, eh bien il s’agît de l’amour grec. L’amour grec - il faut bien vous faire à cette idée - c’est « l’amour des beaux garçons », et puis tiret, rien de plus. Il est bien clair que quand on parle de l’amour on ne parle pas d’autre chose. Tous les efforts que nous faisons pour mettre ceci à sa place sont voués d’avance à l’échec. Je veux dire que pour essayer de voir exactement ce que c’est, nous sommes obligés de pousser les meubles d’une certaine façon, de rétablir certaines perspectives, de nous mettre dans une certaine position plus ou moins oblique, de dire: « qu’il n’y avait forcément pas que ça, évidemment, bien sûr... » Il n’en reste pas moins que sur le plan de l’amour il n’y avait que ça. Mais alors d’autre part, si on dit cela, vous allez me dire :

             -« l’amour des garçons est quelque chose d’universellement reçu, il y a beau temps que le regrettent certains de nos contemporains : s’ils avaient pu naître plus tôt !… ».

Et non ! Même quand on dit cela il n’en reste pas moins

          - dans toute une partie de la Grèce c’était fort mal vu,

          -que dans une toute autre partie de la Grèce - c’est Pausanias qui le souligne dans le Banquet - c’était très bien vu.

Et comme c’était la partie « totalitaire » de la Grèce, les Béotiens, les Spartiates qui faisaient partie des « totalitaires » - tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire - non seulement c’était très bien vu mais c’était le service commandé. Il ne s’agissait pas de s’y soustraire. Et Pausanias dit :

      -« Il y a des gens qui sont beaucoup mieux. Chez nous, les Athéniens, c’est bien vu mais c’est défendu tout de même, et naturellement ça renforce le prix de la chose. »

Voilà à peu près ce que nous dit Pausanias. Tout ceci bien sûr, dans le fond n’est pas pour nous apprendre grand chose, sinon que c’était plus vraisemblable à une seule condition : que nous comprenions à peu près à quoi ça correspond. Pour s’en faire une idée, il faut se référer à ce que j’ai dit l’année dernière de l’amour courtois. Ce n’est pas la même chose bien sûr, mais ça occupe dans la société une fonction analogue. Je veux dire que c’est bien évidemment de l’ordre et de la fonction de la sublimation, au sens où j’ai essayé l’année dernière d’apporter sur ce sujet une légère rectification dans vos esprits sur ce qu’il en est réellement de la fonction de la sublimation, disons qu’il ne s’agit là de rien que nous ne puissions mettre sous le registre d’une espèce de régression à l’échelle collective. Je veux dire que ce quelque chose que la doctrine analytique nous indique être le support du lien social comme tel, de la fraternité entre hommes, l’homosexualité l’attache à cette neutralisation du lien. Ce n’est pas de cela dont il s’agit. Il ne s’agit pas d’une dissolution de ce lien social, d’un retour à la forme innée, c’est bien évidemment autre chose. C’est un fait de culture et aussi bien il est clair que c’est dans les milieux des maîtres de la Grèce - au milieu des gens d’une certaine classe, au niveau où règne et où s’élabore la culture - que cet amour est mis en pratique. Il est évidemment le grand centre d’élaboration des relations inter humaines.

Je vous rappelle sous une autre forme, le quelque chose que j’avais déjà indiqué lors de la fin d’un séminaire précédent, le schéma du rapport de la perversion avec la culture en tant qu’elle se distingue de la société.

 

Si la société entraîne par son effet de censure une forme de désagrégation qui s’appelle la névrose, c’est dans un sens contraire d’élaboration, de construction, de « sublimation », disons le mot, que peut se concevoir la perversion quand elle est produit de la culture. Et si vous voulez, le cercle se ferme : la perversion apportant des éléments qui travaillent la société, la névrose favorisant la création de nouveaux éléments de culture. Cela n’empêche pas - toute sublimation qu’elle soit - que l’amour grec reste une perversion.  Nul point de vue culturaliste n’a ici à se faire valoir. Il n’y a pas à nous dire que sous prétexte que c’était une perversion reçue, approuvée, voire fêtée, que ce n’était pas une perversion. L’homosexualité n’en restait pas moins ce que c’était : une perversion.

 

Séminaire VIII  Le Transfert  23 novembre 1960  l'amant / l'aimé

 

Entre ces deux termes qui constituent, si je puis dire : dans leur essence, l’amant et l’aimé, observez qu’il n’y a aucune coïncidence. Ce qui manque à l’un n’est pas ce « ce qu’il a », caché dans l’autre. Et c’est là tout le problème de l’amour. Qu’on le sache ou qu’on ne le sache pas n’a aucune importance. On en rencontre à tous les pas dans le phénomène, le déchirement, la discordance, et quiconque n’a pas besoin pour autant de dialoguer, de « dialectiquer » διαλεκτικεύεσθαι sur l’amour : il lui suffit « d’être dans le coup », d’aimer, pour être pris à cette béance, à ce discord.

Anselm Feuerbach-  Le Banquet de Platon, 1869

Séminaire VIII  Le Transfert  23 novembre 1960   Le Banquet : l’entrée d’Aristophane, et la conception cosmologique de l’homme.

 

Si, après tout, nous retenons la caractéristique générale, le ton d’ensemble qui caractérise le Banquet, nous sommes légitimement en droit de nous demander si ce dont il s’agit n’est pas à proprement parler quelque chose qui consonne avec « l’œuvre comique » comme telle : s’agissant de l’amour, il est clair que Platon a pris la voie de « la comédie ». Tout le confirmera par la suite, et j’ai mes raisons de commencer maintenant à l’affirmer, au moment où va entrer en scène le grand comique, ce grand comique Aristophane dont depuis toujours on se casse la tête pour savoir pourquoi Platon l’a fait venir au Banquet. Scandaleux puisque, comme vous le savez, ce grand comique est un des responsables de la mort de Socrate. Si le Phédon, à savoir le drame de la mort de Socrate, se présente à nous avec ce caractère altier que lui donne le ton tragique que vous savez, et d’ailleurs ce n’est pas si simple, là aussi il y a des choses comiques, mais il est bien clair que la tragédie domine et qu’elle est représentée devant nous, le Banquet d’ores et déjà nous apprend qu’il n’y a pas - et jusqu’au discours si bref de Socrate pour autant qu’il parle en son propre nom - un seul point de ce discours qui ne soit à poser devant nous avec cette suspicion du comique.

Et je dirai là même, pour ne rien laisser en arrière et pour répondre nommément à quelqu’un de mes auditeurs dont la présence m’honore le plus, avec qui j’ai eu sur ce sujet un bref échange [Paul Ricœur], je dirai nommément que même le discours de Phèdre au départ - dont non sans raison, non sans motif, non sans justesse il avait cru apercevoir que je le prenais, lui, à la valeur faciale, au contraire du discours de Pausanias, je dirai que ceci ne va pas moins dans le sens de ce que j’affirme ici précisément : c’est que justement ce discours de Phèdre, en se référant sur le sujet de l’amour à l’appréciation des dieux, a aussi valeur ironique. Car les dieux ne peuvent rien –justement- comprendre à l’amour. L’expression « d’une bêtise divine » est quelque chose qui à mon sens devrait être plus répandu. Elle est souvent suggérée par le comportement des êtres auxquels nous nous adressons justement sur le terrain de l’amour. Prendre les dieux à témoin à la barre de ce dont il s’agit concernant l’amour me paraît être quelque chose qui de toute façon n’est pas hétérogène à la suite du discours de Platon.

Nous voici arrivés à l’orée du discours d’Aristophane. Néanmoins, nous n’y entrerons pas encore. Je veux simplement vous prier vous-mêmes, par vos propres moyens, de compléter ce qui reste à voir du discours d’Éryximaque. C’est pour M. Léon Robin une énigme qu’Éryximaque reprenne l’opposition du thème de l’amour uranien et de l’amour pandémique étant donné ce qu’il nous apporte concernant le maniement médical physique de l’amour. Il ne voit pas très bien ce qui le justifie. Et à la vérité je crois que notre étonnement est vraiment la seule attitude qui convienne pour répondre à celui de l’auteur de cette édition. Car la chose est mise au clair dans le discours lui-même d’Éryximaque confirmant toute la perspective dans laquelle j’ai essayé de vous la situer.

S’il se réfère, concernant les effets de l’amour à l’astronomie, c’est bien pour autant que ce dont il s’agit, cette harmonie à laquelle il s’agit de confluer, de s’accorder, concernant le bon ordre de la santé de l’homme, c’est une seule et même chose avec celle qui régit l’ordre des saisons, et que, « quand au contraire - dit-il - l’amour - où il y a de l’emportement ὕβρις [hubris], quelque chose en trop - réussit à prévaloir en ce qui concerne les saisons de l’année, alors c’est là que commencent les désastres, et la pagaille, les préjudices - comme il s’exprime – les dommages... », au rang de quoi sont, bien sûr, « les épidémies », mais sur le même rang sont placées : « la gelée, la grêle, la nielle du blé » et toute une série d’autres choses. Ceci pour bien nous remettre dans le contexte où je crois quand même que les notions que                                 je promeus devant vous comme les catégories fondamentales, radicales auxquelles nous sommes forcés de nous référer pour poser de l’analyse un discours valable, à savoir : l’imaginaire, le symbolique et le réel, sont ici utilisables. On parle de pensée primitive, et on s’étonne qu’un Borobo s’identifie à un ara . Est-ce qu’il ne vous semble pas qu’il ne s’agit pas de pensée primitive, mais d’une position primitive de la pensée concernant ce à quoi - pour tous, pour vous comme pour moi -elle a affaire, quand nous voyons que l’homme s’interrogeant - non sur sa place mais sur son identité - a à se repérer, non pas dans l’intérieur d’une enceinte limitée qui serait son corps, mais à se repérer dans le réel total et brut à quoi il a affaire, et que nous n’échappons pas à cette loi d’où il résulte que c’est au point précis de cette délinéation du réel en quoi consiste le progrès de la science que nous aurons toujours à nous situer.

Au temps d’Éryximaque, il est hors de question, faute de la moindre connaissance de ce que c’est qu’un tissu vivant comme tel,que le médecin puisse faire, disons des humeurs, quelque chose d’hétérogène à l’humidité où dans le monde peuvent proliférer les végétations naturelles. Le même désordre qui provoquera dans l’homme tel excès dû à l’intempérance, à l’emportement, est celui qui amènera les désordres dans les saisons qui sont ici énumérés. La tradition chinoise nous représente au début de l’année l’empereur, celui qui peut de sa main accomplir les rites majeurs d’où dépend l’équilibre de tout l’empire du Milieu, tracer ces premiers sillons dont la direction et la rectitude sont destinées à assurer précisément pendant ce temps de l’année, l’équilibre de la nature. Il n’y a, si j’ose dire, dans cette position rien que de naturel. Celle où ici Éryximaque se rattache, qui est pour dire le mot, celle à laquelle se rattache la notion de l’homme microcosme. C’est à savoir quoi ? Non pas que l’homme est en lui-même un résumé, un reflet, une image de la nature, mais qu’ils sont une seule et même chose, qu’on ne peut songer à composer l’homme que de l’ordre et de l’harmonie des composantes cosmiques. Voilà une position dont simplement je voulais vous laisser aujourd’hui avec cette question de savoir si elle ne conserve pas, malgré la limitation dans laquelle nous croyons avoir réduit le sens de la biologie, dans nos présupposés mentaux quelques traces ?

Assurément, les détecter n’est pas tellement intéressant il ne s’agit que de nous apercevoir où nous nous plaçons : dans quelle zone, dans quel niveau plus fondamental nous nous plaçons, nous analystes, quand nous agitons pour nous comprendre nous-mêmes des notions comme « l’instinct de mort », qui est à proprement parler - comme Freud ne l’a pas méconnu - une notion empédocléenne.  Or c’est à cela que va se référer le discours d’Aristophane.

Ce que je vous montrerai la prochaine fois, c’est que ce formidable « gag » qui est manifestement présenté comme une entrée de clown culbutant dans une scène de la comédie athénienne, se réfère expressément comme tel, et je vous en montrerai les preuves, à cette conception cosmologique de l’homme. Et à partir de là je vous montrerai l’ouverture surprenante de ce qui en résulte, ouverture laissée béante concernant l’idée que Platon pouvait se faire de l’amour - je vais jusque-là ! - concernant la dérision radicale que la seule approche des problèmes de l’amour  apportait à cet ordre incorruptible, matériel, super-essentiel, purement idéal, participatoire éternel et incréé qui est celui, ironiquement peut-être, que toute son œuvre nous découvre.

Nouvelles conférences sur la psychanalyse - Chap 7 p.14 - Freud

 

Nous avons reconnu que l'enfance est une période de la vie difficile à traverser parce que l'enfant y doit en peu de temps s'assimiler toute une civilisation qui a été élaborée en des milliers d'années.

Nouvelles conférences sur la psychanalyse - Chap 7 p.20 - Freud

Les gens qui croient aux miracles de la Sainte Vierge sont bien plus nombreux que ceux qui croient en l'existence de l'inconscient.

Nana -  1880 Emile Zola

Madame Bron venait de distribuer les derniers bouquets; seule une rose tombée se fanait, près de la chatte noire, qui s'était couchée en rond, tandis que les petits chats exécutaient des courses folles, des galops féroces, entre les jambes des messieurs.

Nana -  1880 Emile Zola

A certaines phrases de son morceau d'entrée, des ondulations semblaient partir de son cou, descendre à sa taille, expirer au bord trainant de sa tunique. Quand elle eût poussé la dernière note au milieu d'une tempête de bravos, elle salua, les gazes volantes, sa chevelure touchant ses reins, dans le raccourci de l'échine. Et, en la voyant ainsi, pliée et les hanches élargies, venir à reculons vers le trou par lequel il la regardait, le comte se releva, très pâle.

Nana - 1880  Emile Zola

En arrivant au pied de l'escalier, le comte avait senti de nouveau un souffle ardent lui tomber sur la nuque, cette odeur de femme descendue des loges, dans un flot de lumière et de bruit;

Nana - 1880  Emile Zola

Le dimanche, l'après-midi fut d'une douceur exquise. On avait craint de la pluie, vers dix heures; Mais le ciel, sans se découvrir, s'était comme fondu en un brouillard laiteux, en une poussière lumineuse, toute blonde de soleil.

Séminaire sur la lettre volée, 1966, p.25 - Jacques Lacan

Car pour le réel, quelques bouleversement qu'on puisse y apporter, il y est toujours et en tout cas, à sa place, il l'emporte collée à sa semelle, sans rien connaître qui puisse l'en exiler.

Les nourritures terrestres -1897 André Gide

Il y a profit aux désirs, et profit au rassasiement des désirs - parce qu'ils en sont augmentés. Car, je te le dis en vérité, Nathanaël, chaque désir m'a plus enrichi que la possession toujours fausse de l'objet même de mon désir.

Les nourritures terrestres - 1897 André Gide

Il ne me suffit pas de lire que les sables des plages sont doux; je veux que mes pieds nus le sentent...Toute connaissance que n'a pas précédée une sensation m'est inutile.                                                                                                                            

     Je n'ai jamais rien vu de doucement beau dans ce monde, sans désirer aussitôt que toute ma tendresse le touche. Amoureuse beauté de la terre, l'effloraison de ta surface est merveilleuse. ô paysage où mon désir s'est enfoncé ! Pays ouvert où ma recherche se promène; allée de papyrus qui se referme sur de l'eau; roseaux courbés sur la rivière; ouvertures des clairières; apparition de la plaine dans l'embrasure des branchages, de la promesse illimitée. Je me suis promené dans les couloirs de roches ou de plantes. J'ai vu se dérouler des printemps.

      VOLUBILITE DES PHENOMENES

      Dès ce jour, chaque instant de ma vie prit pour moi la saveur de nouveauté d'un don absolument ineffable. Ainsi je vécus dans une presque perpétuelle stupéfaction passionnée. J'arrivais très vite à l'ivresse et me plaisais à marcher dans une sorte d'étourdissement.

     Certes, tout ce que j'ai rencontré de rire sur les lèvres, j'ai voulu l'embrasser; de sang sur les joues, de larmes dans les yeux, j'ai voulu le boire; mordre à la pulpe de tous les fruits que vers moi penchèrent des branches.

Les nourritures terrestres -1897 André Gide

J'ai porté hardiment ma main sur chaque chose et me suis cru des droits sur chaque objet de mes désirs. (Et d'ailleurs, ce que nous souhaitons, Nathanaël, ce n'est pas tant la possession que l'amour.) Devant moi, ah ! que toute chose s'irise; que toute beauté de revête et se diapre de mon amour.

Les nourritures terrestres -1897 André Gide

 

Ce que j'ai connu de plus beau sur la terre,

Ah ! Nathanaël ! c'est ma faim.

Elle a toujours été fidèle.

A tout ce qui toujours l'attendait.

Est-ce de vin que se grise le rossignol ?

L'aigle de lait ? ou non point de genièvre les grives ?

     L'aigle se grise de son vol. Le rossignol s'enivre des nuits d'été. La plaine tremble de chaleur. Nathanaël, que toute émotion sache te devenir une ivresse. si ce que tu manges ne te grise pas, c'est que tu n'avais pas assez faim.

    Chaque action parfaite s'accompagne de volupté. A cela tu connais que tu devais la faire. Je n'aime pas ceux qui se font un mérite d'avoir péniblement oeuvré. Car si c'était pénible, ils auraient mieux fait de faire autre chose. Le joie que l'on y trouve est signe de l'appropriation du travail et la sincérité de mon plaisir, Nathanaël, m'est le plus important des guides.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Heureux, pensais-je, qui ne s'attache à rien sur la terre et promène une éternelle ferveur à travers les constantes mobilités. Je haïssais les foyers, les familles, tous lieux où l'homme pense trouver un repos; et les affections continues, et les fidélités amoureuses, et les attachements aux idées- tout ce qui compromet la justice; je disais que chaque nouveauté doit nous trouver toujours tout entiers disponibles.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

L'homme qui se dit heureux et qui pense, celui-là sera appelé vraiment fort.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Mon âme ! ne t'attache à aucune pensée. Jette chaque pensée au vent du large qui te l'enlève; tu ne la porteras jamais toi-même jusqu'aux cieux.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

   Au soir, je regardais dans d'inconnus villages les foyers, dispersés durant le jour, se reformer. Le père rentrait, las de travail; les enfants revenaient de l'école. La porte de la maison s'entrouvrait un instant sur un accueil de lumière, de chaleur et de rire, et puis se refermait pour la nuit. Rien de toutes les choses vagabondes n'y pouvait plus rentrer, du vent grelottant du dehors. -Familles, je vous hais ! foyers clos; portes refermées; possessions jalouses du bonheur.- Parfois, invisible de nuit, je suis resté penché sur une vitre, à longtemps regarder la coutume d'une maison. Le père était là, près de la lampe; la mère cousait; la place d'un aïeul restait vide; un enfant, près du père, étudiait; -et mon coeur se gonfla du désir de l'emmener avec moi sur les routes.

    Le lendemain je le revis, comme il sortait de l'école; le surlendemain je lui parlai; quatre jours après il quitta tout pour me suivre. Je lui ouvris les yeux devant la splendeur de la plaine; il comprit qu'elle était ouverte pour lui. J'enseignai donc son âme à devenir plus vagabonde, joyeuse enfin - puis à se détacher même de moi, à connaître sa solitude.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

     Seul, je goûtai la violente joie de l'orgueil. J'aimais me lever avant l'aube; j'appelais le soleil sur les chaumes; le chant de l'alouette était ma fantaisie et la rosée était ma lotion d'aurore. Je me plaisais à d'excessives frugalités, mangeant si peu que ma tête en était légère et que toute sensation me devenait une sorte d'ivresse. J'ai bu de bien des vins depuis, mais aucun ne donnait, je sais, cet étourdissement du jeûne, au grand matin ce vacillement de la plaine, avant que, le soleil venu, je ne dorme au creux d'une meule.

Le pain que j'emportais avec moi, je le gardais parfois jusqu'à la demi-défaillance; alors il me semblait sentir moins étrangement la nature et qu'elle me pénétrait mieux; c'était un afflux du dehors; par tous mes sens ouverts j'accueillais sa présence; tout, en moi, s'y trouvait convié.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

       Mon coeur naturellement aimant et comme liquide se répandait de toutes parts; aucune joie ne me semblait appartenir à moi-même; j'y invitais chacun de rencontre, et, lorsque j'étais seul à jouir, ce n'était qu'à force d'orgueil.

       Certains m'accusèrent d'égoïsme; je les accusai de sottise. J'avais la prétention de n'aimer point quelqu'un, homme ou femme, mais bien l'amitié, l'affection ou l'amour. En le donnant à l'un, je n'eusse pas voulu l'enlever à quelque autre, et ne faisais que me prêter. Pas plus je ne voulais accaparer le corps ou le coeur d'aucun autre; nomade ici comme envers la nature, je ne m'arrêtais nulle part. Toute préférence me semblait injustice; voulant rester à tous, je ne me donnais pas à quelqu'un.

Séminaire 17 L'envers- 21janvier 1970  Jacques Lacan- "Un enfant est battu"

Ailleurs j’ai bien dit que la vérité « parle Je » : « Moi la vérité, je parle. ».

 

Seulement,  c’est que le « Je » dont il s’agit peut-être est innombrable, qu’il n’y a besoin ni de continuité du « Je » pour qu’il multiplie ses actes. Mais laissons, ce n’est pas là l’essentiel.

En face de cet usage des propositions, n’allons-nous pas, avant de nous quitter, présentifier ceci : Un enfant est battu . C’est bien une proposi­tion qui fait tout ce fantasme. Pouvons-nous l’affecter de quoi que ce soit qui se désigne du terme de vrai ou de faux ?

C’est là, en ce cas, exemplaire de ce qui ne peut être éliminé d’aucune défini­tion de la proposition, que nous saisissons ceci :

que cette proposition a effet - de quoi ? - de se sou­tenir d’un sujet, sans doute, mais - comme FREUD aussitôt l’ana­lyse –

divisé par la jouissance.

 

Divisé, je veux dire qu’aussi bien celui qui l’énonce, est cet enfant qui wird, verdit, verdoie, d’être battu, geschlagen. Mais jouons un peu plus : cet enfant qui verdit battu, il badine vertu, ce sont les malheurs du « vers-tu », celui qui le frappe, et qui n’est pas nommé, de quelque façon que la phrase s’énonce. Ce « Tu me bats » est cette moitié du sujet dont la formule fait sa liaison à la jouissance. Il reçoit, certes, son propre message sous une forme inversée : ça veut dire, sa propre jouissance sous la forme de la jouissance de l’Autre, et c’est bien de cela qu’il s’agit quand le fantasme se trouve rejoindre l’image du père, conjointe à ce qui d’abord est un autre enfant.

 

C’est que le père jouisse de le battre qui ici met l’accent du sens, celui aussi de cette vérité qui est à moitié. Car aussi bien, celui qui à l’autre moitié - au sujet de l’enfant - s’identifie, n’était pas cet enfant, sauf comme dit FREUD, à ce qu’on reconstitue le stade intermédiaire - jamais d’ailleurs d’aucune façon par le souvenir, substantialisé - où c’est lui en effet, c’est lui qui de cette phrase fait le support de son fantasme, qui est l’enfant battu.

 

Nous voici reconduits à ceci, de fait : qu’un corps peut être sans figure, car le père ou l’Autre quel qu’il soit…qui ici joue le rôle, la fonction, donne la place de la jouissance…il n’est point même nommé. Dieu sans figure, c’est bien le cas, mais néanmoins pas saisissable sinon en tant que corps.

Qu’est-ce qui a un corps et qui n’existe pas ? Réponse : le grand Autre. Et si nous y croyons à ce grand Autre, il a

un corps, inéliminable de la substance de celui qui a dit « Je suis ce que Je suis », ce qui est une tout autre forme de tautologie.

Les nourritures terrestres- 1897  André Gide

         "Crois-tu pouvoir, en cet instant précis goûter la sensation puissante, complète, immédiate de la vie, - sans l'oubli de ce qui n'est pas elle ? L'habitude de ta pensée te gêne; tu vis dans le passé, dans le futur et tu ne perçois rien spontanément. Nous ne sommes rien, Myrtil, que dans l'instantané de la vie; tout le passé s'y meurt avant que rien d'à venir y soit né.Instants ! Tu comprendras, Myrtil, de quelle force est leur présence car chaque instant de notre vie est essentiellement irremplaçable: sache parfois t'y concentrer uniquement. Si tu voulais, si tu savais, Myrtil, en cet instant sans plus, de femmes ni d'enfants, tu serais seul devant Dieu sur la terre.Mais tu te souviens d'eux, et portes avec toi, comme par une peur de les perdre, tout ton passé, tout tes amours, et toutes les préoccupations de la terre. Pour moi, tout mon amour m'attend à tout instant et pour une nouvelle surprise; je le connais toujours et ne le reconnais jamais. Tu ne soupçonnes pas, Myrtil, toutes les formes que prend Dieu; de trop regarder l'une et t'en éprendre, tu t'aveugles. La fixité de ton adoration me peine; je la voudrais plus diffusée. Derrière toutes tes portes fermées, Dieu se tient. Toutes formes de Dieu sont chérissables, et tout est la forme de Dieu.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

        Je sors dès le matin; je me promène; je ne regarde rien et vois tout; une symphonie merveilleuse se forme et s'organise en moi ses sensations inécoutées. L'heure passe, mon émoi s'alentit, comme la marche du soleil moins verticale se fait plus lente. Puis je choisis, être ou chose, de quoi m'éprendre, - mais je le veux mouvant, car mon émotion, sitôt fixée, n'est plus vivante. Il me semble alors à chaque instant nouveau n'avoir encore rien vu, rien goûté. Je m'éperds dans une désordonnée poursuite des choses fuyantes.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

        Des femmes attendaient sur le pas des portes; derrière elle un escalier droit grimpait. Elles étaient assises, là, sur le pas des portes, graves, peintes comme des idoles, coiffées d'un diadème de pièces de monnaie. La nuit, cette rue s'animait. Au haut des escaliers brûlaient des lampes; chaque femme restait assise dans cette niche de lumière que la cage de l'escalier lui faisait; leur visage restait dans l'ombre, sous l'or du diadème qui brillait; et chacune semblait m'attendre, m'attendre spécialement; pour monter, on ajoutait une piécette d'or au diadème; en passant, la courtisane éteignait les lampes; on entrait dans son étroit appartement; on buvait du café dans de petites tasses; puis on forniquait sur des espèces de divans bas.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

       Nos actes s'attachent à nous comme sa lueur au phosphore; ils font notre splendeur, il est vrai, mais ce n'est que notre usure.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

 Attentes. Attentes; fièvres; heures de jeunesse en allées...Une ardente soif pour tout ce que vous appelez: péché.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

...Oh ! si le temps pouvait remonter vers sa source ! et si le passé revenir ! Nathanaël, je voudrais t'emmener avec moi vers ces heures amoureuses de ma jeunesse, où la vie coulait en moi comme du miel.- D'avoir goûté tant de bonheur, l'âme sera-t-elle jamais consolée ? Car là j'étais, là-bas, dans ces jardins, moi, non un autre, j'écoutais ce chant du roseau; je respirais des fleurs; je regardais, je touchais cet enfant- et certes de chacun de ces jeux chaque nouveau printemps s'accompagne, -mais celui que j'étais, cet autre, ah ! comment le redeviendrais-je !

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Chaque animal n'est qu'un paquet de joie.

Tout aime d'être et tout être se réjouit. C'est de la joie que tu appelles fruit quand elle se fait succulence; et, quand elle se fait chant, oiseau.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

   Du jour où je parvins à me persuader que je n'avais pas besoin d'être heureux, commença d'habiter en moi le bonheur; oui, du jour où je me persuadai que je n'avais besoin de rien pour être heureux. Il semblait, après avoir donné le coup de pioche à l'égoïsme, que j'avais fait jaillir aussitôt de mon coeur une telle abondance de joie que j'en pusse abreuver tous les autres. Je compris que le meilleur enseignement est d'exemple. J'assumai mon bonheur comme une vocation.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

      Il faut partir de ce point, me dit-il, que les plus importantes inventions restent encore à découvrir. Elles seront la mise en lumière, simplement, d'une constatation des plus simples, car tous les secrets de la nature gisent à découvert et frappent nos regards chaque jour sans que nous y fassions attention.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

      Je reconnais que je me suis longtemps servi du mot Dieu comme d'une sorte de dépotoir où verser mes concepts les plus imprécis. Cela finit par former quelque chose de fort peu semblable au bon Dieu à barbe blanche de Francis Jammes, mais de guère plus existant. Et, comme il advient que les vieillards perdent successivement cheveux et dents, vue, mémoire et enfin la vie, mon Dieu perdit en vieillissant (ce n'est pas lui qui vieillissait, c'est moi) tous les attributs dont je l'avais revêtu naguère; à commencer (ou à finir) par l'existence, ou, si l'on veut, par la réalité. Cessé-je de le penser, il cessait d'être. Seule mon adoration le créait. Elle pouvait se passer de lui; lui ne pouvait se passer d'elle.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Je me passai fort bien de certitude dès lors que j'acquis celle-ci, que l'esprit de l'homme ne peut en avoir. Ceci reconnu que reste-t-il à faire ? S'en créer ou en accepter de factices et s'efforcer de ne les point tenir pour mensongères ?... ou apprendre à s'en passer. C'est à quoi je travaillai de tout mon coeur. Je n'admettais point que ce sevrage dût mener l'homme au désespoir.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Mais du moins avais-je su bannir de moi toutes réticences, pudeurs, réserves de la décence, hésitations timorées, qui font la volupté craintive et prédisposent l'âme aux remords après le retombement de la chair. J'étais tout habité par le printemps intérieur dont ne me paraissaient que des échos les reflets, toutes les éclosions, les floraisons que je rencontrais sur ma route. J'ardais si fort qu'il me semblait pouvoir communiquer à tout autrui ma ferveur comme on donne le feu de sa cigarette, et celle-ci n'en est qu'attisée. Je secouais de moi toute cendre. Dans mes regards riait un amour épars, éperdu. Je pensais: la bonté n'est qu'une irradiation du bonheur et mon coeur se donnait à tous par le simple effet d'être heureux.

        Puis, plus tard...Non, ce ne fut ni diminution de désirs, ni satiété, que je sentis venir avec l'âge; mais, souvent, escomptant sur mes lèvres avides l'épuisement trop prompt du plaisir, la possession me paraissait de moindre prix que la poursuite et j'en venais de plus en plus à préférer à l'étanchement la soif même, à la volupté sa  promesse, à la satisfaction l'élargissement sans fin de l'amour.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

         Notre littérature, et singulièrement la romantique, a louangé, cultivé, propagé la tristesse; et non point cette tristesse active et résolue qui précipite l'homme aux actions les plus glorieuses; mais une sorte d'état flasque de l'âme, qu'on appelait mélancolie, qui pâlissait avantageusement le front du poète et chargeait de nostalgie son regard. Il entrait là-dedans de la mode et de la complaisance. La joie paraissait vulgaire, signe d'une trop bonne et bête santé; et le rire faisait grimacer le visage. La tristesse se réservait le privilège de la spiritualité, et, partant, de la profondeur.

        Pour moi, qui toujours préférai Bach et Mozart à Beethoven, je tiens pour impie le vers de Musset tant prôné:

        "Les plus désespérés sont les chants les plus beaux", et n'admets pas que l'homme sous les coups de l'adversité se laisse abattre.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Je crois aussi qu'ici, comme partout, les phrases nous trompent, car le langage nous impose plus de logique qu'il n'en est souvent dans la vie; et que le plus précieux de nous-même est ce qui reste informulé.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

J'ai parfois, j'ai souvent, par malignité, dit d'autrui plus de mal que je ne pensais et, par lâcheté, dit plus de bien que je ne pensais de beaucoup d'oeuvres; livres ou tableaux, par crainte d'indisposer contre moi leurs auteurs. J'ai parfois souri à des gens que je ne trouvais pas du tout drôles et feint de trouver spirituels des propos niais. J'ai feint de m'amuser, parfois, alors que je m'embêtais à mort et que je n'avais pas la force de m'en aller parce que l'on me disait: reste encore...J'ai trop souvent permis à ma raison d'arrêter l'élan de mon coeur. Et, par contre, alors que mon coeur se taisait, j'ai trop souvent parlé quand même. J'ai parfois, pour être approuvé, fait des sottises. Et, par contre, je n'ai pas toujours osé faire ce que je pensais devoir faire mais savais ne devoir être pas approuvé.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Leur sagesse ? ... Ah ! leur sagesse, mieux vaut n'en pas faire grand cas.

       Elle consiste à vivre le moins possible, se méfiant de tout, se garant.

        Il y a toujours, dans leurs conseils, je ne sais quoi de rassis, de stagnant.

        Ils sont comparables à certaines mères de familles qui abrutissent de recommandations leurs enfants:

      "Ne te balance pas si fort, la corde va craquer;

       Ne te mets pas sous cet arbre, il va tonner;

       Ne t'assieds pas sur l'herbe, tu vas te tacher;

       A ton âge, tu devrais être plus raisonnable;

       Combien de fois faudra-t-il te le répéter:

       On ne met pas ses coudes sur la table.

       Cet enfant est insupportable ! "

      -Ah ! Madame, pas tant que vous.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Ne fais donc pas le malin. Tu as vu mourir; ça n'avait rien de si comique. Tu t'efforces de plaisanter, pour cacher ta peur, mais ta voix tremble e ton pseudo-poème est affreux.

      - Il se peut... Oui, j'ai vu mourir... Il y a le plus souvent, m'a-t-il paru, précédant la mort et passé l'angoisse, une sorte d'émoussement de l'aiguillon. La mort met des gants fourrés pour nous prendre. Elle n'étrangle pas sans assoupir; et ce dont elle nous sépare a perdu déjà sa netteté, sa présence et comme sa réalité. Un univers si décoloré que de le quitter ne fait plus grand peine et qu'il n'y a plus matière à regrets.

      Alors, je me dis que ça ne doit pas être si difficile de mourir, puisque, en fin de compte, tous y parviennent. Et ce ne serait peut-être, après tout, qu'une habitude à prendre, si seulement on ne mourait pas rien qu'une fois.

      Mais la mort est atroce à qui n'a pas rempli sa vie. A celui-ci la religion n'a que trop beau jeu pour lui dire:

      - Ne t'en fais pas. C'est de l'autre côté que ça commence, et tu seras récompensé.

      C'est dès "ici-bas" qu'il faut vivre.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Camarade, ne crois à rien; n'accepte rien sans preuve. N'a jamais rien prouvé le sang des martyrs. Il n'est pas religion si folle qui n'ait eu les siens et qui n'ait suscité des convictions ardentes. C'est au nom de la foi que l'on meurt; et c'est au nom de la foi que l'on tue. L'appétit de savoir naît du doute. Cesse de croire et instruis-toi. L'on ne cherche jamais d'imposer qu'à défaut de preuves. Ne t'en laisse pas accroire. Ne te laisse pas imposer.

Les nourritures terrestres- 1897 André Gide

Travaille et lutte et n'accepte de mal rien de ce que tu pourrais changer. Sache te répéter sans cesse: il ne tient qu'à moi. On ne prend point son parti sans lâcheté de tout le mal qui dépend des hommes. Cesse de croire, si tu l'as jamais cru, que la sagesse est dans la résignation; ou cesse de prétendre à la sagesse.

    Camarade, n'accepte pas la vie telle que te la proposent les hommes. Ne cesse point de te persuader qu'elle pourrait être plus belle, la vie; la tienne et celle des autres hommes; non point une autre, future qui nous consolerait de celle-ci et qui nous aiderait à accepter sa misère. N'accepte pas. Du jour où tu commenceras à comprendre que le responsable de presque tous les maux de la vie, ce n'est pas Dieu, ce sont les hommes, tu ne prendras plus ton parti de ces maux.

     Ne sacrifie pas aux idoles.

D'un discours qui ne serait pas du semblant- Séminaire 18-  1971 Jacques Lacan

Le « discours », ce n’est pas seulement qu’il ne peut plus dès lors être jugé qu’à la lumière de son ressort inconscient,

c’est qu’il ne peut plus être énoncé comme quelque chose d’autre que ce qui s’articule d’une structure

où quelque part il se trouve aliéné d’une façon irréductible.                          

 

D’où mon énoncé du discours introductif : « D’un discours... », je m’arrête : ce n’est pas le mien. C’est de cet énoncé

du discours comme ne pouvant être comme tel discours d’aucun particulier, mais se fondant d’une structure et de l’accent que lui donne la répartition, le glissement, de certains de ses termes, c’est de là que je pars cette année

pour ce qui s’intitule « D’un discours qui ne serait pas du semblant ».  

D'un discours qui ne serait pas du semblant- Séminaire 18-  1971 Jacques Lacan

 

Ce qui dans un discours s’adresse à l’Autre comme un « Tu », fait surgir l’iden­tification à quelque chose qu’on peut appeler « l’idole humaine ». Si j’ai parlé la der­nière fois du sang rouge  comme étant le sang le plus vain à propulser contre

le semblant, c’est bien parce que - vous l’avez vu - on ne saurait s’avancer pour ren­verser l’idole, sans tout aussitôt après prendre sa place, comme on sait que c’est ce qui s’est passé pour un certain type de martyrs !

 

C’est bien dans la mesure où quelque chose dans tout discours qui fait appel au « Tu », provoque à une identifi­cation camouflée, secrète, qui n’est que celle à cet objet énigmatique qui peut être rien du tout, le tout petit plus de jouir d’Hitler, qui n’allait peut-être

pas plus loin que sa moustache, voilà ce qui a suffi à cristalliser des gens qui... qui n’avaient rien de mystique,

qui étaient tout ce qu’il y a de plus engagés dans le procès du discours du capitaliste, avec ce que ça comporte

de mise en question du plus de jouir sous sa forme de plus-value.

Pensées- Zoé Citerne

Lorsque l'on est établi à une place de psychanalyste ou "hypnothérapeute", la tâche de pallier aux heures sans patient est difficile. Le goût de rebondir du mot à mot, d'être le simple indicateur de la musique unique d'un individu et de voir, hésitants, leur étonnement face aux tonalités étrangères et pourtant ô combien eux, est émoussé.

Il ne reste qu'à tenir le cap au sein de mon quotidien, et d'employer, dans mes moments de vide intersidéral, le vecteur de l'écriture.

Pensées- Zoé Citerne

J'avais pensé un jour être autre chose. Peut-être me constituer dans une autre sphère. Ou bien même ne pas être dans une idée préconçue de ce que j'envisageais. Me cacher, était-ce la solution ? Etait-ce un moyen de m'abriter des stigmates de ces instances mutilantes ? M'échapper, m'extirper...Et simplement élaborer une planque: marginale, dissonante et belle. Une planque qui m'abrite, me préserve des adultes aux requêtes sclérosantes. Une planque qui protège l'effervescence du cerveau droit: une planque qui me rappelle que la seule substance tangible dont je peux être certaine dans ce monde est le désir qui me constitue.  Je ne savais pas quel chemin emprunter, ni même la force d'intensité qui irradiait de ce désir.

Pensées- Zoé Citerne

Vole comme le réel te l'accorde, avec ces abdomens et ces têtes de mouches en court-circuit, figures kafkaïennes qui saturent tes élévations introspectives. Pousse-moi sur cet essaim, aplatis-moi une bonne fois pour toute, que je participe à ce butinement d'épargne crevée.

Pensées- Zoé Citerne

Brin de début, début d'année, doucement amorcé. Les saveurs de café entrent dans ma bouche, à sept heures trente dans les wagons sifflants. Les silhouettes molles tourbillonnent en épaisse fumée, embrumée d'un sommeil aplati.

Pensées-  1670 Pascal

Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.

La chartreuse de Parme- 1839 Stendhal

Tout allait à merveille jusque-là, mais quand le ministre, fort content de Fabrice, et jusque-là attentif uniquement à ses faits et gestes, regarda la duchesse, il lui trouva des  yeux singuliers. Ce jeune homme fait ici une étrange impression, se dit-il. Cette réflexion fut amère; le comte avait atteint la cinquantaine, c'est un mot bien cruel et dont peut-être un homme éperdument amoureux peut seul sentir tout le retentissement. Il était fort bon, fort digne d'être aimé, à ses sévérités près comme ministre.Mais, à ses yeux, ce mot cruel la cinquantaine jetait du noir sur toute sa vie et eût été capable de le faire cruel pour son propre compte. Depuis cinq années qu'il avait décidé la duchesse à venir à Parme, elle avait souvent excité sa jalousie, surtout dans les premiers temps, mais jamais elle ne lui avait donné sujet de plainte réel. Il croyait même, et il avait raison, que c'était dans le dessein de mieux s'assurer de son coeur que la duchesse avait eu recours à ces apparences de distinction en faveur de quelques jeunes beaux de la cour. Il était sûr, par exemple, qu'elle avait refusé les hommages du prince, qui même, à cette occasion, avait dit un mot instructif.

Ou pire- Séminaire 19-  1971-72 Jacques Lacan

Ce qui distingue le discours du capitalisme est ceci : la Verwerfung, le rejet, le rejet en dehors de tous les champs du symbolique

avec ce que j’ai déjà dit que ça a comme conséquence. Le rejet de quoi ? De la castration. Tout ordre, tout discours,

qui s’apparente du capitalisme laisse de côté ce que nous appellerons simplement les choses de l’amour, mes bons amis. Vous voyez ça, hein, c’est un rien ! C’est bien pour ça que deux siècles après ce glissement, appelons-­le calviniste

après tout pourquoi pas, la castration a fait enfin son entrée irrup­tive sous la forme du discours analytique.

 

Naturellement le discours analytique n’a pas encore été foutu d’en donner même une ébauche d’articulation, mais enfin il en a multiplié la métaphore et il s’est aperçu que toutes les métonymies en sortaient.Voilà, voilà au nom de quoi, porté par une sorte, une espèce de brouhaha qui s’était produit quelque part du côté des psychanalystes, j’ai été amené à introduire ce qu’il y avait d’évident dans la nouveauté psychanalytique, à savoir qu’il s’agissait de langage et que c’était un nouveau discours.

Comme je vous l’ai dit, enfin l’objet(a) en personne, c’est-à-dire cette position dans laquelle on ne peut même pas dire

que se porte le psychanalyste : il y est porté, il y est porté par son analysant. La question que je pose c’est :

com­ment est-ce qu’un analysant peut jamais avoir envie de devenir psychanalyste. C’est impensable !

 

Ils y arrivent - comme les billes de certains jeux de tric-trac comme ça que vous connaissez bien, qui finissent par tomber dans le machin - ils y arrivent sans avoir la moindre idée de ce qui leur arrive. Enfin, une fois qu’ils sont là, ils y sont

et il y a à ce moment-là tout de même quelque chose qui s’éveille, c’est pour ça que j’en ai proposé l’étude.

 

Ou pire- Séminaire 19- 1971-72 Jacques Lacan

Différenciation sexuelle

12 Janvier 1972                                     Séminaire : Panthéon-Sorbonne                                         Table des matières

                    

 

Si nous trouvions dans la logique, moyen d’articuler ce que l’incons­cient démontre de valeur sexuelle, nous n’en serions pas surpris. Nous n’en serions pas surpris, je veux dire ici même,  à mon séminaire, c’est-à-dire au ras de cette expérience, l’analyse, instituée par FREUD et dont s’instaure une structure de discours que j’ai définie.

 

Reprenons ce que j’ai dit dans la densité de ma première phrase. J’ai parlé de « valeur sexuel­le ». Je ferai remarquer que

ces valeurs sont des valeurs reçues, reçues dans tout langage, l’homme, la femme, c’est ça qu’on appelle «  valeur sexuel­le   ».

Au départ qu’il y ait l’homme et la femme - c’est la thèse dont aujourd’hui je pars - c’est d’abord affaire de langage.

 

Le langage est tel que pour tout sujet parlant, ou bien c’est lui ou bien c’est elle. Ça existe dans toutes les langues du monde. C’est le principe du fonctionnement du genre : féminin ou masculin. Qu’il y ait l’herma­phrodite, ce sera seulement

une occasion de jouer avec plus ou moins d’esprit à faire passer dans la même phrase le lui et l’elle.

On ne l’appel­lera « ça », en aucun cas. Sauf à manifester par là quelque horreur du type sacrée, on ne le mettra pas au neutre. Ceci dit, l’homme et la femme, nous ne savons pas ce que c’est. Pendant un temps, cette bipolarité de valeurs a été prise pour suffisam­ment supporter, suturer ce qu’il en est du sexe.

 

C’est de là-même qu’est résultée cette sourde métaphore qui pendant des siècles a sous-tendu la théorie de la connaissance. Comme je l’ai fait remarquer ailleurs, le monde était ce qui était perçu, voire aperçu comme à la place de l’autre valeur sexuelle.

Ce qu’il en était du νοῦς [nouss] - du pouvoir de connaître - étant placé du côté positif, du côté actif

de ce que j’interrogerai aujourd’hui en demandant quel est son rapport avec l’Un.

 

J’ai dit que si le pas que nous a fait faire l’analyse nous montre, nous révèle en tout abord serré de l’approche sexuelle

le détour, la barrière, le cheminement, la chicane, le défilé, de la castration, c’est là et propre­ment ce qui ne peut se faire qu’à partir de l’articulation telle que je l’ai donnée du discours analytique. C’est là ce qui nous conduit à penser que

la castration ne saurait en aucun cas être réduite à l’anecdote, à l’ac­cident, à l’intervention maladroite

d’un propos de menace ni même de censure. La structure est logique. Quel est l’objet de la logique ?

 

Vous savez, vous savez d’expérience, d’avoir ouvert seulement un livre qui s’intitu­le « Traité de Logique », combien fragile, incertain, éludé, peut être le pre­mier temps de tout traité qui s’intitule de cet ordre : « l’art de bien condui­re sa pensée »

- la conduire où, et en la tenant par quel bout ? - ou bien encore tel recours à une normalité dont se définirait le rationnel indé­pendamment du réel. Il est clair que, après une telle tentative de le définir comme objet de la logique,

ce qui se présente est d’un autre ordre et autrement consistant.

 

Je proposerais s’il fallait, si je ne pouvais tout simplement laisser là un blanc - mais je ne le laisse pas - je propose :

« ce qui se produit de la nécessité d’un discours ». C’est ambigu sans doute mais ce n’est pas idiot puisque cela comporte l’implication que la logique peut complètement changer de sens, selon d’où prend son sens tout discours.Alors puisque c’est là ce dont prend son sens tout discours, à savoir à partir d’un autre, je propose assez clairement depuis longtemps pour qu’il suffise de le rappeler ici, le réel - la catégorie que dans la triade dont est parti mon enseignement : le symbolique, l’imaginaire et le réel - le réel s’affirme, par un effet qui n’est pas le moindre de s’affirmer dans les impasses de la logique.

 

Je m’explique. Ce qu’au départ, dans son ambi­tion conquérante, la logique se proposait, ce n’était rien de moins

que le réseau du discours en tant qu’il s’articule et qu’à s’articuler, ce réseau devait se fermer en un univers supposé enserrer

et recouvrir comme d’un filet ce qu’il pouvait en être de ce qui était à la connaissance offert.

 

L’expérience, l’expérience logicienne, a montré qu’il en était différem­ment. Et sans avoir ici aujourd’hui - où par accident je dois m’époumoner - à entrer plus dans le détail, ce public est tout de même suffisamment averti d’où en notre temps

a pu reprendre l’effort logique, pour savoir qu’à aborder quelque chose en principe d’aussi sim­plifié comme réel

que l’arithmétique, il a pu être démontré que dans l’arithmétique, quelque chose peut toujours s’énoncer, offert ou non offert à la déduction logique, qui s’articule comme en avance sur ce dont les pré­misses, les axiomes, les termes fondateurs, dont peut s’asseoir ladite arithmétique, permet de présumer comme démontrable ou réfutable.[allusion aux théorèmes d’incomplètude de Gödel]

Nous touchons là du doigt, en un domaine en apparence le plus sûr, ce qui s’oppose à l’entière prise du discours,

à l’exhaustion logique, ce qui y introduit une béance irréductible, c’est là que nous désignons le Réel.

 

Bien sûr avant d’en venir à ce terrain d’épreuve qui peut paraître à l’horizon, voire incertain à ceux qui n’ont pas serré

de près ses dernières épreuves, il suffira de rappeler ce qu’est « le discours naïf ». « Le discours naïf » se propose d’emblée, s’inscrit comme tel, comme vérité. Il est depuis tou­jours apparu facile de lui démontrer à ce discours naïf

« qu’il ne sait pas ce qu’il dit », je ne parle pas du sujet, je parle du discours. C’est l’orée - pourquoi ne pas le dire -

de la critique que le sophiste, à qui­conque énonce ce qui est toujours posé comme vérité que le sophiste lui démontre qu’« il ne sait pas ce qu’il dit ». C’est même là l’origine de toute dialectique.

 

Et puis c’est toujours prêt à renaître : que quelqu’un vienne témoigner à la barre d’un tribunal, c’est l’enfance de l’art

de l’avocat que de lui montrer qu’il ne sait pas ce qu’il dit. Mais là nous tombons au niveau du sujet, du témoin,

qu’il s’agit d’embrouiller. Ce que j’ai dit au niveau de l’action sophistique, c’est au discours lui-même que le sophis­te

s’en prend. Nous aurons peut-être cette année - puisque j’ai annoncé que j’aurais à faire état du « Parménide » -

à montrer ce qu’il en est de l’ac­tion sophistique

Le remarquable, dans le développement auquel tout à l’heure je me suis référé, de l’énonciation logicienne,

où peut-être d’aucuns se seront aperçu qu’il ne s’agit de rien d’autre que du « théorème de Gödel » concer­nant l’arithmétique,

c’est que ce n’est pas à partir des valeurs de vérité que GÖDEL procède à sa démonstration qu’il y aura toujours dans le champ

de l’arithmétique quelque chose d’énonçable dans les termes propres qu’elle comporte, qui ne sera pas à la portée

de ce qu’elle se pose à elle-même comme mode à tenir pour reçu de la démonstration - ce n’est pas à partir de la vérité,

c’est à partir de la notion de dérivation.

 

C’est en laissant en suspens la valeur vrai ou faux comme telle, que le théorème est démontrable. Ce qui accentue

ce que je dis de la béance logicienne sur ce point là, point vif - point vif en ce qu’il illustre ce que j’entends avancer -

c’est que si le réel - assurément d’un accès facile - peut se définir comme l’impossible - cet impossible en tant qu’il s’avère

de la prise même du discours, du discours logicien - cet impossible-là, ce réel-là doit être par nous privilégié. « Par nous » : Par qui ? Par les analystes. Car il donne d’une façon exem­plaire, qu’il est le paradigme de ce qui met en question ce qui peut sor­tir du langage. Il en sort certains types - que j’ai définis - de discours, comme étant ce qui instaure un type de lien social défini.

 

Mais le langa­ge s’interroge sur ce qu’il fonde comme discours. II est frappant qu’il ne puisse le faire qu’à fomenter

l’ombre d’un langage qui se dépasserait, qui serait métalangage. J’ai souvent fait remarquer qu’il ne peut le faire

qu’à se réduire dans sa fonction, c’est-à-dire déjà à engendrer un dis­cours particularisé.

 

Je propose - en nous intéressant à ce réel en tant qu’il s’affirme de l’interrogation logicienne du langage - je propose

d’y trou­ver le modèle de ce qui nous importe, à savoir de ce que livre l’explora­tion de l’inconscient qui loin d’être

- comme a pensé pouvoir le reprendre un JUNG à revenir à la plus vieille ornière - loin d’être un sym­bolisme sexuel universel, est très précisément ce que j’ai tout à l’heure rappelé de la castration, à souligner seulement qu’il est exigible qu’elle ne se réduise pas à l’anecdote d’une parole entendue.

 

Sans quoi, pour­quoi l’isoler, lui donner ce privilège de je ne sais quel traumatisme, voire efficace de béance ?

Alors qu’il n’est trop clair qu’elle n’a rien d’anecdotique, qu’elle est rigoureusement fondamentale dans ce qui,

non pas instaure, mais rend impossible l’énoncé de la bipolarité sexuelle comme telle, à savoir comme - chose curieuse -

nous continuons de l’imaginer au niveau animal. Comme si chaque illustration de ce qui, dans chaque espèce,

constitue le tropisme d’un sexe pour l’autre n’était pas aussi variable pour chaque espèce qu’est leur constitution corporelle.

 

Comme si, de plus, nous n’avions pas appris - appris déjà depuis un bout de temps - que le sexe…

au niveau non pas de ce que je viens de définir comme le réel,

mais au niveau de ce qui s’articule à l’intérieur de chaque scien­ce, son objet étant une fois défini

…que le sexe, il y a au moins deux ou trois étages de ce qui le constitue, du génotype au phénotype et qu’après tout,

après les derniers pas de la biologie - est-ce que j’ai besoin d’évoquer lesquels ? - il est sûr que le sexe ne fait que prendre place comme un mode particulier dans ce qui permet la reproduction de ce qu’on appelle un corps vivant.

 

Loin que le sexe en soit l’instru­ment type, il n’en est qu’une des formes, et ce qu’on confond trop - encore que FREUD là-dessus ait donné l’indication, mais approximati­ve - ce qu’on confond trop c’est très précisément la fonction du sexe

et celle de la reproduction.

 

Loin que les choses soient telles qu’il y ait la filière de la gonade d’un côté, ce que WEISSMANN appelait le germen,  

et le branchement du corps, il est clair que le corps, que son génotype véhicule quelque chose qui détermine le sexe

et que ça ne suffit pas : de sa production de corps, de sa statique cor­porelle, il détache des hormones qui,

dans cette détermination, peuvent interférer. Il n’y a donc pas d’un côté

  • le sexe, irrésistiblement associé - parce qu’il est dans le corps - à la vie, le sexe imaginé comme l’image de ce qui dans la reproduction de la vie serait l’amour, il n’y a pas cela d’un côté

  • et de l’autre côté le corps, le corps en tant qu’il a à se défendre contre la mort

 

 

 

Ou pire- Séminaire 19- 1971-72 Jacques Lacan

15 mars 1972

 

Naturellement l’association n’est pas libre, si elle était libre, elle n’aurait aucun intérêt, n’est-ce pas, mais c’est la même chose que le bavardage : c’est fait pour apprivoiser le moineau. L’association, il est bien entendu qu’elle est liée. Je ne vois pas quel serait son intérêt si elle était libre. Le bavardage en question, il est certain que - il ne fait aucun doute - comme c’est pas quelqu’un qui parle mais que c’est l’Un, on peut voir là, à quel point c’est lié. Parce que c’est très démonstratif.

 

À mettre les choses dans ce relief, ça permet de situer pas mal de choses, et en particulier le pas qui se franchit

de PARMÉNIDE à PLATON. Parce que il y avait déjà un pas franchi par PARMÉNIDE dans ce milieu où il s’agissait en somme de savoir ce qu’il en est du réel. Nous en sommes toujours tous là. Après qu’on ait dit que c’était l’air, l’eau,

la terre, le feu, et qu’après ça on n’avait plus qu’à recommencer, il y a quelqu’un qui s’est avisé que, que le seul facteur commun de toute cette substance dont il s’agissait, c’était d’être « dicible ». C’est ça le pas de PARMÉNIDE.

 

 

Seulement le pas de PLATON c’est différent, c’est différent : c’est de montrer que dès que on essaie de dire d’une façon articulée ce qui se dessine de la structure, comme on dirait dans notre... ce que j’ai appelé tout à l’heure notre rude langage,

le mot « structure » ne vaut pas mieux que le mot d’« associations libres », mais ce qui se dessine fait difficulté, et que le réel, c’est dans cette voie qu’il faut le chercher.

 

Εἰδος [Eidos], qu’on traduit improprement « la forme », est quelque chose qui déjà nous promet le serrage, le cernage

de ce qui fait béance dans le dire. En d’autres termes PLATON était... était pour tout dire lacanien. [Rires] Naturellement

il pouvait pas le savoir. En plus, il était un peu débile. [Rires] Ce qui ne facilite pas les choses, mais ce qui sûrement l’a aidé. J’appelle débilité mentale le fait d’être un être parlant qui ne soit pas solidement installé dans un discours, c’est ce qui fait le prix du débile. Il n’y a aucune autre définition qu’on puisse lui donner sinon d’être ce qu’on appelle « un peu à côté de la plaque »,

c’est-à-dire qu’entre deux dis­cours, il flotte.

 

 

Ou pire- Séminaire 19- 1971-72 Jacques Lacan

21 juin 1972

Si comme je le rappelais récem­ment, l’essence du sommeil, c’est justement la suspension du rapport du corps à la jouissance,

il est bien évident que le désir qui lui, se suspend au plus de jouir, ne va pas pour autant être là mis entre parenthèses.

Ce que le rêve travaille, ce sur quoi il tricote, et l’on voit bien com­ment et avec quoi : avec les éléments de la veille comme dit FREUD, c’est-­à-dire avec ce qui est là encore tout à fait à la surface de la mémoire, pas dans la profondeur,

la seule chose qui relie le désir du rêve à l’incons­cient, c’est la façon dont il faut travailler pour résoudre la solution,

pour résoudre le problème d’une formule avec « = zéro », pour trouver la racine grâce à quoi la façon dont ça fonctionne, ça s’annule. Si ça s’an­nule pas comme on dit, il y a le réveil. Moyennant quoi bien sûr le sujet continue à rêver dans sa vie.

 

Si le désir a de l’intérêt dans le rêve, FREUD le souligne, c’est pour autant qu’il y a des cas où le fantasme, on ne peut pas le résoudre, c’est-­à-dire que s’apercevoir que le désir - permettez-moi de m’exprimer puisque je suis à la fin ainsi -

n’a pas de raison d’être, c’est que quelque chose s’est produit qui est la rencontre, la rencontre d’où procède la névrose,

la tête de MÉDUSE, la fente de tout à l’heure, directement vue, c’est en tant qu’elle, elle n’a pas de solution.

Kafka1883-1924

Quelque fois, dans son orgueil, il ressent plus d'angoisse pour le monde que pour lui-même.

Le procès-verbal - J.M.G Le Clézio 1963

Sentimentalement, il n'aperçut que sa propre image reflétée en double dans les verres des lunettes, encadrée de plastique, tout à fait semblable à celle d'un grand singe obèse, penché au travail sur ses pieds. Comme si cette posture provoquait, grâce au ploiement du corps vers l'avant, le concentration d'esprit nécessaire à l'intuition de vivre, oui, de vivre tout seul dans son coin, détaché de la mort du monde.

 

 

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